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La Maladie de la mort


Quand on lit un livre ou qu’on regarde une pièce de théâtre dans une salle de spectacle, on est déjà ici et ailleurs, par le pouvoir de l’imagination. La réalité virtuelle nous plonge dans une troisième dimension. Expérience vécue au château de la Veyrie lors de l’exposition Présences.

« Vous ne devriez pas la connaître. L’avoir trouvée partout à la fois. Dans un hôtel, dans une rue, dans un train, dans un bar, dans un livre, dans un film. En vous-même, en vous, en toi, au hasard de ton sexe dressé dans la nuit qui appelle où se mettre, où se débarrasser, des pleurs qui le remplissent. »

C’est un texte court, énigmatique, empreint d’une puissante charge érotique et d’une infinie tristesse. L’un des plus denses peut-être de Marguerite Duras, écrit au plus fort de sa relation avec son jeune amant homosexuel Yann Andreas et de sa crise alcoolique. Il nous parle d’un homme, de son incapacité à aimer, de sa relation tarifée avec une femme dans une chambre d’hôtel grise et anonyme au bord de la mer, dans une station balnéaire. Elle n’est pas une prostituée. Il la paie pourtant, très cher. Nuit après nuit il scrute sa peau, la caresse, pleure auprès d’elle. La pénètre sans parvenir à pénétrer le mystère du désir, de son absence.


Ce texte taillé à la serpe a été souvent mis en scène. En 2018, on a pu voir à la MC2 de Grenoble la lecture féministe qu’en a faite la britannique Katie Mitchell. Un dispositif vidéo sur le plateau décuplait la présence charnelle de l’actrice, Laetitia Dosch en nous donnant à voir au plus près le grain de sa peau. La voix d’Irène Jacob, invisible dans sa cabine, donnait corps aux mots de Duras. Les femmes prenaient le pouvoir. Christelle Derré, du collectif poitevin « Or NOrmes », nous propose une narration radicalement différente, faisant largement appel à nos sens et aux nouvelles technologies. Pas de plateau de théâtre mais une chambre ­au décor décati, dans un château médiéval dressé face aux montagnes de Belledonne, à Bernin, près de Grenoble. Introduits par le « groom service » dans l’intimité de cet espace, nous voici installés sur un lit, au cœur de la boîte noire, notre casque de réalité virtuelle sur les yeux et les oreilles… Bientôt, on se laisse porter par les mots de Duras qui défilent en relief dans une autre chambre, au bord de la mer. On sent le souffle du vent quand s’ouvre la fenêtre, un léger parfum d’héliotrope et de cédrat qui flotte autour de nous, une main qui nous touche délicatement. On est à la fois dans cette chambre et dans le texte, en immersion totale. « Vouloir quelqu’un obstinément, du dehors, du dedans, à l’intérieur, dans un acharnement stérile est une intention qui ne pouvait exclure les nouvelles écritures », explique Christelle – notre groom ! - dans la note d’intention remise au spectateur.


Créé dans le cadre d’Expérimenta à Grenoble, au cœur du pôle d’innovation Minatec, ce dispositif est l’un des six installations numériques à découvrir au château de la Veyrie à Bernin dans le cadre de l’exposition « Présences ». Il illustre les possibilités de ces nouvelles technologies de réalité virtuelle de plus en plus présentes au cinéma. L’exposition, curatée par Gilles Fourneris, présente soixante-dix œuvres d'une dizaine d’artistes dans le château de l’industriel Keller. Statues qui s’animent, réalité augmentée, peintures, photos et sons se répondent dans de troublantes correspondances pour réveiller les fantômes de cette maison de style art nouveau.

RACONTER EN RÉALITÉ VIRTUELLE : ENTRE THÉÂTRE ET CINÉMA | EXPERIMENTA, la Biennale Arts Sciences 2018

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