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Grenoble et ses artistes au XIXe siècle

Le 20 mars dernier, juste avant de se refermer, le Musée de Grenoble avait invité quelques journalistes chanceux à découvrir sa nouvelle exposition consacrée aux artistes de Grenoble au XIXe siècle. L’occasion de replonger dans l’effervescence artistique (exclusivement masculine hélas) qui régnait alors dans la capitale des Alpes… Petite visite (très subjective) avant la réouverture.


L'atelier de Cabanel par Tancrède Bastet (1883)

En 2019, le Musée de Grenoble avait rendu un bel hommage à Andry Farcy, conservateur de 1919 à 1948, à qui l’on doit de posséder la toute première collection d’art moderne de France (hors Paris). Cet iconoclaste visionnaire avait eu l’audace de décrocher des cimaises les œuvres classiques qui faisaient alors la fierté de l’institution pour introduire à leur place de jeunes artistes émergents nommés Picasso, Matisse, Giacometti, Soutine, Kandinsky ou Soulages… « Je veux faire le contraire de ce qu’ont fait mes prédécesseurs qui n’ont ouvert leur musée à aucun des grands maîtres du XIXe siècle. J’ouvre ma porte aux jeunes », avait-il annoncé en arrivant.

Un an plus tard, zoom arrière : l’équipe du Musée, s’appuyant sur les recherches menées par Valérie Huss, conservatrice du patrimoine du Musée et Candice Humbert, docteure en histoire de l’art, a entrepris de ressortir de la cave ces œuvres mises au rencard et de replonger dans l’atmosphère de Grenoble au XIXe siècle. Car avant l’arrivée d’Andry Farcy, le Musée de Grenoble, parmi les premiers ouverts en province, jouissait déjà d’une belle réputation avec ses nombreuses œuvres classiques.

Un vivier d’artistes en puissance

Visiteurs au Musée de Grenoble (1911) par Jules Bernard.

La première surprise, c’est l’effervescence artistique qui régnait alors dans cette ville qualifiée pourtant par le jeune Henry Beyle Stendhal de désespérément plate et étroite d’esprit. Il faut dire que l’ancienne capitale du Dauphiné, reléguée au rang de préfecture de province après la création des Départements, ne comptait plus que 20 000 habitants en 1800 (contre 24 000 dix ans plus tôt).


La création du musée en 1798 et de l’école municipale gratuite de dessin dans la foulée va pourtant donner naissance à un véritable vivier d’artistes régionaux. Henry Beyle lui-même suivra les cours de dessin dispensés par Louis Joseph Jay, à l’école centrale. Très novateur pour l’époque, ce dernier, qui sera aussi le premier conservateur du musée de Grenoble, ouvre une classe de paysage à côté des enseignements plus académiques. Un genre dans lequel s’illustreront plus tard de nombreux artistes dauphinois. Benjamin Rolland, qui prendra la suite de Joseph Jay, eut aussi à cœur de faire entrer ces artistes dans les collections du musée.

L’engouement pour la sculpture

Maquette de la fontaine au lion au serpent de Victor Sappey avec une photo d'époque (1843)

Les 400 peintures, 90 sculptures et la centaine de dessins ou de photos réunis aujourd’hui au Musée de Grenoble avec l’apport d’autres musées de la région comme le Musée Hébert, le Musée Mainssieux, la Maison Ravier de Morestel… , témoignent de ce bouillonnement. Peu à peu, au fil des décennies, la commande publique va d’ailleurs agrémenter la ville de nombreuses sculptures, fontaines et monuments signés par des artistes locaux tels que Victor Sappey (1801-1856). Fils d’un tailleur de pierre, ce sculpteur comme la plupart de ses condisciples fait ses classes à Paris (en l’occurrence, auprès de l’italien Nicolas Raggi) avant de revenir à Grenoble ouvrir son propre atelier à Grenoble. En 1831, il crée aussi une école municipale gratuite de sculpture qui fera de nombreux émules Aimé Irvoy, Eustache Bernard, Victor Chappuy…

Ces noms ne vous disent rien ? L’un des grands mérites de cette exposition, c’est justement de nous rouvrir les yeux sur toutes ces œuvres visibles dans l’espace public, dont le musée a retrouvé les maquettes originales.

Le travail de restauration a aussi permis de révéler quelques pépites comme ce Berlioz mourant sculpté par Pierre Rambaud, un artiste allevardien proche des symbolistes – prématurément décédé à 43 ans. Finesse du marbre, main décharnée : un pur chef d’œuvre de sensibilité. Idem pour cet immense Ecce Homo de plâtre de Henri Ding (1844-1898) poignant d’humanité, qui a retrouvé sa blancheur originelle.

Une communauté soudée et… masculine

Ambiance potache à l'école de sculpture architecturale de Grenoble (vers 1885).

On découvre aussi des toiles inédites parfois étonnantes, comme cette troublante représentation de la confrérie des Pénitents blancs, Les Rogations, peinte par Tancrède Bastet. Et on retrouve avec bonheur les grandes toiles majestueuses qui ont fait la renommée de l’école paysagiste dauphinoise : Jean Achard, Charles Bertier, Ernest Hareux, Laurent Guétal ou Jules Guédy n’ont pas leur pareil pour magnifier nos paysages de montagne, quand le tourisme et la photo en étaient à leurs balbutiements.

Avec sa scénographie originale qui nous plonge progressivement dans le siècle, on a plaisir également à pénétrer dans les ateliers, à travers les photos ou peintures (comme celle de Tancrède Bastet choisie pour l’affiche de l’exposition). Soudés par une vraie camaraderie et une forte émulation créative, ces artistes forment une vraie communauté qui s’entraide, s’autoportraiture et aime à se retrouver dans des cercles intellectuels comme la compagnie de la Pogne où musiciens, peintres, architectes refont tous les mois le monde autour d’une bonne table.


Les Odalisques, de Jacqueline Marval (1902)

Le point noir dans ce tableau, c’est l’absence frappante et quasi totale des femmes – il faut dire qu’au XIXe siècle, après cette parenthèse enchantée du XVIIIe qui ouvre les beaux-arts aux femmes, l’enseignement artistique est réservé aux hommes ! Seules Eugénie Eugénie du Colombier, baronne de Franclieu (1806-1888) et Jacqueline Marval (1866-1932) échappent à cet ostracisme. La première, qui a reçu une solide éducation en dessin grâce aux cours particuliers de Stéphanie de Virieu et de Benjamin Rolland, se révèle pourtant une excellente portraitiste : en atteste le portrait officiel de son oncle, Charles de Lavalette, daté de 1932, qui est alors maire de Grenoble. La seconde sera la toute première artiste professionnelle iséroise. Formée auprès de son compagnon Jules Flandrin, à Paris, Jacqueline Marval (de son vrai nom Marie-Joséphine Vallet) se forge un style très personnel tout douceur. Dans la dernière salle, devant ses magnifiques Odalisques (1902), on est saisi par la pureté des traits, l’éclat marmoréen des corps, l’harmonie des couleurs. Un nouveau siècle vient de commencer. Place à la modernité.

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