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Quand l’IA peint un nouveau Rembrandt – IA #6

Est-ce qu’un peintre disparu il y a plus de 350 ans peut revenir à nous avec une nouvelle œuvre ? C’est ce qui s’est passé avec le projet The Next Rembrandt, qui a analysé des œuvres du peintre à l'aide d'une IA pour en extraire les « secrets de fabrication » …


The Next Rembrandt, un tableau créé par une IA "à la manière" de Rembrandt

L'université de Technologie de Delft, au Pays-Bas, associée à Microsoft, dévoilent en 2016, une nouvelle toile de Rembrandt produite grâce à une intelligence artificielle. Les logiciels ne se sont pas contentés de disséquer l’œuvre du peintre pour en révéler ses techniques, ils ont véritablement peint un tableau original avec de l'impression additive (3D), représentant un superbe portrait d'un homme au chapeau noir.


Autre exemple... Le collectif français Obvious crée, avec une IA alimentée de tout un corpus de portraits produits depuis le Moyen Âge, une œuvre originale : le Portrait d'Edmond de Belamy. En octobre 2018, la pièce est vendue aux enchères par la maison Christie's à New York pour la modique somme de 432 000 dollars.


The Next Rembrandt

Ce chef-d'œuvre technologique est le fruit d'une collaboration entre historiens de l'art, développeurs et data-analystes qui a duré plus de 18 mois. Si le choix d'imiter le génie hollandais n'est pas un hasard, puisqu'il est considéré comme l’un des plus grands peintres de l'histoire de l'art, il a fallu relever le défi de reproduire ce clair-obscur qui constitue sa marque de fabrique. Introduite un siècle plus tôt en Italie par le Caravage, la technique a été perfectionnée par Rembrandt d'une manière unique, par un habile contraste entre l'obscurité des fonds et la lumière des visages qui donne ce relief si particulier à ses tableaux.


La première étape a consisté à scanner en très haute définition plus de 160 000 fragments issus de 346 toiles du maître. Afin de capter au mieux les détails, l'analyse des œuvres de Rembrandt a été réalisée à l'aide d'un algorithme de deep learning permettant de maximiser la résolution et la qualité des scans. Les informations de cette précieuse collecte ont été stockées dans une base de données, constituant ainsi le socle numérique pour fabriquer le nouveau Rembrandt.


Un échantillon des oeuvres du maître ayant servi à construire la base de données

Ensuite, il a fallu déterminer le thème du tableau. Parce que l'artiste a peint plus de portraits que tout autre sujet, notre équipe d'ingénieurs et universitaires s’est focalisée sur ce thème pendant sa période faste, de 1632 à 1642. Cette étude a permis de dresser les grandes lignes du portrait d'un personnage imaginaire que Rembrandt aurait pu vraiment peindre : « Un homme caucasien, barbu, de 30 à 40 ans, portant des vêtements sombres, une collerette et un chapeau, regardant vers la droite », résume Emmanuel Flores, directeur technique du projet.


La troisième étape, la plus passionnante, a résidé dans la conception et le développement d’une IA qui apprenne le style du peintre flamand, notamment sa maestria du clair-obscur. Puis, un algorithme de reconnaissance faciale a identifié les motifs géométriques utilisés par Rembrandt pour peindre les éléments du visage humain. Ce logiciel a ensuite employé les principes appris pour créer « à sa manière » des yeux, un nez, une bouche, une barbe, un front... La création de l'homme au chapeau noir a demandé à la machine près de 500 heures de calculs !


Enfin, pour rendre vivante cette photo numérique de 148 millions de pixels, notre équipe a eu recours à l'impression 3D. Un algorithme a d'abord procédé à l'identification du nombre de couches qu'aurait laissé le maître flamand s'il avait eu à peindre The Next Rembrandt. Puis, une imprimante a déposé (strate par strate) sur la toile, les gouttelettes de peinture nécessaires au dosage des couleurs. Le résultat est stupéfiant puisque le rendu final est proche d'une peinture à l'huile, fraîchement sortie de l'atelier de l'artiste du XVIIe siècle.


Pour rendre réaliste le nouveau Rembrandt, une imprimante 3D "a peint" le tableau

Qu'on se rassure tout de même : s'il est impossible pour un profane de discerner cette œuvre d'une originale de Rembrandt, un expert ne s'y laisserait pas prendre... « Rembrandt aurait fait certainement des variations avec cela. Il aurait utilisé des points de peinture et en particulier un point net de peinture sur le nez pour le faire ressortir. Et pas le côté lisse du nez de ce tableau qui donne bien, mais qui ne le met pas vraiment en avant », indique le commissaire du musée Rembrandt à Amsterdam.


En somme, cette œuvre est beaucoup « trop parfaite », pour avoir été produite par un artiste qui vécut souvent sur le fil du rasoir, et dont le style dynamique et tourmenté marque les esprits depuis près de quatre siècles. Le poète national Joost van den Vondel disait de Rembrandt qu’il était « l’ami et le fils de l’ombre, pareil au hibou nocturne », un descriptif qui sied bien mal au côté affable et sans aspérité de cet homme au chapeau noir. Même si la « patte » du maître est bien présente, il manque le supplément d'âme de l'artiste. La performance est plus technologique qu'artistique.


Le Portrait d'Edmond de Belamy

Le Portrait d'Edmond de Belamy peut se targuer d'être la première œuvre originale produite par une intelligence artificielle et vendue plusieurs centaines de milliers de dollars. Partons à la découverte de ce mystérieux portrait qui nous fait penser à un notable tout droit sorti d'un roman de Maupassant, brossé par un artiste contemporain...


Le Portrait d'Edmond de Belamy, une oeuvre créée par une intelligence artificielle vendue aux enchères chez Christie's, en 2018

Au début de cette aventure, trois amis d'enfance, colocataires à Paris, qui se demandent comment démocratiser la création en utilisant l'intelligence artificielle. Ils créent alors le collectif Obvious et utilisent un logiciel mis dans le domaine public, qu'ils nourrissent de 15 000 portraits réalisés entre le XIVe et XX siècle.


L'application informatique est basée sur une technique récente d'intelligence artificielle : les réseaux antagonistes génératifs (GAN en anglais pour Generative Adversarial Network) mises au point par un étudiant Canadien Ian Goodfellow, en 2014. Le principe d'un GAN est simple et astucieux : 2 réseaux de neurones sont placés en concurrence. Le premier réseau est le Générateur (ou le faussaire, plus à propos ici), tandis que le second, son adversaire, est le Discriminateur (ou l'expert).


L'expert analyse chaque portrait produit par le faussaire et doit déterminer si celui-ci a été fait par une machine ou un humain. Si l'expert évalue que le portrait est fait par la machine, alors il le disqualifie et indique au faussaire ce qui lui a permis de détecter que l’œuvre provient d'un ordinateur. Cela permet au faussaire de ne plus reproduire l'erreur et donc se perfectionner. Ce va-et-vient entre les 2 réseaux de neurones antagonistes se répète jusqu'à ce que l'expert ne soit plus capable de déterminer si le tableau provient d'un ordinateur ou d'un humain. Ainsi est né le Portrait d'Edmond de Belamy.


Focus sur la signature du Portrait d'Edmond de Belamy, qui représente l'algorithme confrontant le Générateur au Discriminateur (notés G et D dans la formule mathématique).

Inutile de dire combien cette vente a fait débat. Quoiqu'il en soit, ces expérimentations à base d'IA constituent peut-être un tournant dans le monde de la création. Il pourrait en émerger une nouvelle forme d'art, comme la photographie ou le cinéma qui se sont développés grâce à des inventions technologiques. Selon Richard Lloyd, un responsable de chez Christie's, « les artistes [...] vont s'emparer de l'intelligence artificielle et faire sentir ses effets de nombreuses façons, étranges et magnifiques. »


Il faudra néanmoins que les artistes soient plus engagés, c'est-à-dire plus en prise avec le cœur même du processus de création de leurs œuvres. Car nous pouvons nous demander dans quelle mesure l'algorithme de Goodfellow et les données extraites des 15 000 portraits ne sont pas en définitive les véritables auteurs du Portrait d'Edmond de Belamy... D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si le tableau est signé de la formule mathématique qui lui a donné naissance et si « bel ami » est finalement une bonne traduction de « good fellow » !







Sources :

Site officiel du projet The Next Rembrandt


Un « nouveau » Rembrandt conçu par les algorithmes et imprimé en 3D


« The Next Rembrandt » : l'IA peut-elle créer des d'Art


The Next Rembrandt : quand un algorithme imite un grand maître


Rembrandt – Wikipedia


Demain, l'art sans artiste ?


Un tableau produit par intelligence artificielle vendu chez Christie's plus de 40 fois son estimation


Et l'intelligence s'invite dans l'art


Le Portrait d'Edmond de Belamy – Wikipedia


Le site officiel du collectif Obvious






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