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Les vaccins à ARN messager, progrès pour l’humanité

Les vaccins anti-Covid à ARN messager ont sauvé des millions de vies depuis la fin 2020. Cette avancée technologique majeure est le résultat d'une odyssée humaine et scientifique au long cours. Et l’aventure est loin d’être finie : l’ARN messager ouvre de nouvelles voies thérapeutiques pour le traitement du cancer.


La luciférase est la protéine qui rend les lucioles luminescentes. En 1989, le doctorant Robert Malone utilise de l’ARN messager encapsulé dans des enveloppes de lipide pour produire de la luciférase dans des cellules hôtes. Ce principe sera repris dans les vaccins anti-Covid à ARN messager. © Radim Schreiber

Le 12 janvier 2020, les autorités chinoises rendent publique la séquence complète d’un virus pouvant déclencher chez certains patients infectés une forme sévère de pneumonie : le SARS-CoV2, de la famille des coronavirus. Le 25 janvier à Mayence, en Allemagne, l’oncologiste Uğur Şahin, créateur de l’entreprise BioNTech, se met devant l’écran de son ordinateur. Cela fait plus de dix ans qu’il travaille avec son épouse, Özlem Türeci, chercheuse en cancérologie, et toute son équipe, à la mise au point d’ARN messagers pour stimuler le système immunitaire contre les tumeurs cancéreuses, autrement plus complexes que les coronavirus.


Ce 25 janvier 2020 donc, Uğur Şahin est on ne peut plus concentré. Il sait que le vaccin contre le Covid est à la portée de BioNTech. A l’aide d’un logiciel spécialisé, il imagine et conçoit une dizaine de modèles d’ARN messagers encodant la protéine Spike. C’est cette protéine qui permet à tous les coronavirus de s’introduire dans les cellules pour se multiplier. Les équipes de BioNTech affineront ces modèles et en créeront d’autres… Le 2 décembre 2020, l’agence du médicament britannique autorise l’exploitation du vaccin conçu par l’entreprise allemande. Jamais un développement de vaccin, ni de médicament, n’aura été aussi rapide : dix mois !


Ne nous méprenons pas cependant : ces dix mois ne sont que la partie émergée de l’iceberg. En réalité, trente ans de recherches et de découvertes scientifiques ont été nécessaires pour élaborer les vaccins à ARN messager (ARNm). C’est dire combien la route a été longue, parsemée d’obstacles technologiques, de batailles de brevets, d’espoirs et de déconvenues… Le journaliste suisse Fabrice Delaye, intervenant dans la rubrique « sciences et technologies » pour heidi.news, a profité du deuxième confinement pour mener (en distanciel) l’enquête auprès des différents acteurs/découvreurs du vaccin à ARNm. Il raconte dans son dernier ouvrage, La Révolution de l’ARN messager, vaccins et nouvelles thérapies, cette formidable aventure humaine et scientifique.


Les vaccins à ARNm, principe de fonctionnement

L’histoire des sciences et des techniques montre que les avancées disruptives sont souvent le fait, de près ou de loin, de résultats issus de la recherche fondamentale, bien plus libre et désintéressée (financièrement parlant) que le monde de l’innovation technologique : « Ce qui nous a d’abord motivés, ce n’étaient pas les applications médicales. C’était de comprendre les mécanismes de la vie», avoue Tom Cech, prix Nobel de chimie en 1989, à Fabrice Delaye lors d’un entretien en visioconférence. Et la vie n’est possible que grâce aux innombrables protéines contenues dans nos cellules. Les protéines permettent à peu près tout dans notre corps, de régénérer les tissus musculaires et la matrice osseuse et la peau, de transporter l’oxygène, de soutenir la contraction et le mouvement des muscles, d’assurer les fonctions digestives,…


D’autre part, nous savons depuis les années 1950 que le code de la vie est inscrit dans l’ADN présent au sein du noyau de chacune des cellules. Se pose alors la question : comment passe-t-on du code de la vie (conservé dans l’ADN) à la vie elle-même (assurée par la fabrication et le fonctionnement des protéines) ? Les biologistes François Jacob et Jacques Monod démontrent que ce passage n’est rendu possible que par l’existence de l’acide ribonucléique messager, l’ARN messager. Ils décrochent le prix Nobel de médecine en 1965. Il faudra attendre les années 1970 pour comprendre de manière fine les mécanismes de production des protéines à partir de l’ARNm, via les ribosomes, authentiques usines protéiques situées à l’intérieur de nos cellules.


Le but d’un vaccin à ARNm anti-Covid est d’entraîner le système immunitaire à se mobiliser efficacement contre la protéine Spike qui permet au virus du SARS-CoV-2 d’entrer dans les cellules pour se répliquer. La fabrication du vaccin consiste donc à scripter le code de la protéine Spike dans des millions d’ARNm de synthèse. Ceux-ci sont ensuite enrobés dans des capsules de lipide (boules de graisse) qui vont jouer le rôle de véhicule protecteur et facilitateur pour permettre aux molécules d’ARNm d’entrer dans les cellules sans être dégradées. Ainsi, lors de l’injection du vaccin, les ARNm vont arriver à entrer dans les cellules localisées à l’endroit de l’injection (muscles en haut du bras).


Principe de fonctionnement des vaccins à ARNm anti-Covid. Crédits : https://uspo.fr/comprendre-le-vaccin-arnm-fiches-pratiques/

C’est alors que les ribosomes, les ateliers de fabrication des protéines à l’intérieur des cellules, entrent en action. Ils décodent les ARNm et produisent dans la foulée les protéines correspondantes, c’est-à-dire les protéines Spike. Les ARNm sont ensuite rapidement détruits et éliminés de l’organisme. Ils n’atteignent pas le noyau des cellules, ils ne modifient donc pas le génome des cellules (décisif sur le plan sécuritaire). Quant aux protéines Spike, elles sont présentées au système immunitaire qui réagit par la production de globules blancs et d’anticorps. Les défenses seront ainsi prêtes à combattre si la personne vaccinée est exposée par la suite au coronavirus.


A la différence des vaccins classiques où l’on injecte le virus atténué ou neutralisé, ici on introduit de l’ARNm qui déclenche dans les cellules la production d’une protéine pathogène (clé d’entrée du virus) contre laquelle le système immunitaire apprend à lutter. Les vaccins à ARNm sont bien un changement de paradigme.


Robert Malone, l’un des pionniers de l’ARNm laissé sur la touche

L’article fondateur de cette technologie sort en août 1989. Il démontre la possibilité d’amener de l’ARNm encapsulé dans une boule de graisse dans des cellules in vitro (cellules de culture) pour produire des protéines. Son principal cosignataire est Robert Malone, jeune doctorant en médecine au Salk Institute de San Diego, en Californie. Pourtant, cette découverte majeure est boudée par la recherche en génétique, qui lui préfère l’ADN, beaucoup plus « stable » et que l’on sait produire à échelle industrielle à l’aube des années 1990 – l’instabilité de l’ARNm contraint entre autres sa conservation à des températures plutôt basses, entre -70 et -20 degrés C.


Robert Malone, juillet 2020. (Steve Helbert/AP)

Robert Malone est amené dans sa recherche à devoir coder une protéine dans de l’ARNm pour que cette protéine puisse être usinée dans des cellules réceptrices. Pour cela, le doctorant choisit une protéine marqueur : la luciférase, la protéine responsable de la luminescence des lucioles – à partir d’une certaine quantité produite, elle a l’avantage d’être détectable à l’œil nu. Un défi s’impose tout de suite à Malone et non des moindres : comment conduire ces ARNm (qui encodent la luciférase) dans des cellules pour que les usines à protéines, les ribosomes, produisent de la luciférase ?… En sachant que, comme l’ARNm, la membrane des cellules est chargée négativement, et que, tels des aimants, deux charges électriques de même polarité se repoussent.


Robert Malone a l’idée d’utiliser un nouveau liposome, la lipofectine, un lipide qui a la particularité d’être chargé positivement. Il enrobe l’ARNm de ce liposome, et grâce aux polarités inverses qui les rapprochent, il invente un dispositif de livraison de l’ARNm jusqu’aux cellules. Mais les scientifiques du Salk Institute doutent de l’ARNm, trop peu maîtrisé alors, et beaucoup trop instable. Aussi curieux que cela puisse paraître, sa découverte n’est pas brevetée. Le jeune Malone est lâché et ses recherches abandonnées… Lors d’une interview accordée à Fabrice Delaye, le chercheur américain avouera : « Je me suis retrouvé complètement déprimé. Au point qu’un médecin me diagnostiquera un stress post-traumatique. »


Plus de trente après, les vaccins à ARNm anti-Covid utiliseront le même principe de livraison de l’ARNm, via des nanoparticules lipidiques à charges positives. Le malheur de Robert Malone est d’avoir eu raison trop tôt.


Katalin Karikó, le sacre au bout d’un chemin semé d’épreuves

Le mur du scepticisme, la biochimiste hongroise Katalin Karikó s’y cogne aussi. Convaincue depuis le début des années 1980 par le potentiel de l’ARN messager, qu’elle estime beaucoup plus sûr que l’emploi de l’ADN (corrupteur du patrimoine génétique des cellules), Katalin Karikó va se battre contre vents et marées pour faire accepter et progresser l’utilisation de l’ARN messager dans le champ médical.


Après avoir obtenu son doctorat, Katalin Karikó poursuit ses recherches à l’université de Szeged, à quelques encablures de la frontière serbe. Elle est chargée de synthétiser des coiffes d’ARNm, essentielles à la reconnaissance des ARNm par les ribosomes, les machines-outils à protéines. De cette période, elle confie à Fabrice Delaye : « Je découvrais l’immunologie, la virologie, les activités de l’ARN… J’étais émerveillée par la richesse de ce qu’avait produit l’évolution ». Mais la Hongrie investit peu dans la recherche en biologie moléculaire et Katalin Karikó n’a pas d’autre choix que de tenter sa chance ailleurs. Elle parvient à décrocher un emploi à l’université de Temple à Philadelphie, en 1985. Katalin Karikó, son mari et sa fille âgée de deux ans traversent le rideau de fer avec toutes leurs économies, un peu plus de 900 dollars, dissimulées dans le doudou élimé de la fillette.


Les travaux de la biochimiste hongroise ont été essentiels pour la mise au point des vaccins à ARN messager contre le Covid. Matthew McDermott / Polaris / Starface

De l’autre côté de l’Atlantique, la vie n’est pas facile pour les Karikó. Le salaire de Kati à l’université est plus que modeste, et son mari, ingénieur en Hongrie, est condamné aux petits boulots de nettoyage et de gardiennage. La galère va durer plus de dix ans encore… En 1995, s’attendant à être titularisée comme professeur d’université, elle est écartée et reste en poste comme simple chercheuse. Même si elle n’arrive pas à convaincre, Katalin Karikó croit en sa bonne étoile et n’a qu’une seule idée en tête : poursuivre ses recherches sur l’ARN messager. Le petit coup de pouce (un grand pas pour l’humanité) se produit trois ans plus tard quand sa route croise celle du médecin-chercheur Drew Weissman. Leur collaboration débouche en 2005 sur une découverte nobélisable, permettant de réduire significativement les effets inflammatoires des ARNm de synthèse et de les rendre ainsi viables en tant que vaccins et thérapies.


La composition d’un ARNm suit une logique informatique. C’est une séquence répartie dans un espace 3D, plus ou moins longue, écrite à partir des quatre molécules de base : l’adénine (A), la cytosine (C), la guanine (G) et l’uridine (U). Au début des années 2000, la recherche sur l’ARN messager bute sur un problème de taille : le déclenchement d’une réponse inflammatoire létale chez les souris traitées par ARNm. Le couple Karikó/Weissman s’attèle à la tâche en utilisant d’autres types d’ARN, comme des ARN de transferts. Nos deux chercheurs observent une inflammation beaucoup moins importante avec ces derniers. La différence de codage entre un ARN de transfert et un ARN messager tient à la présence d’une pseudo-uridine en lieu et place de l’uridine. Et c’est naturellement que la hongroise Karikó et l’américain Weissman décident de fabriquer des ARN messagers en substituant l’uridine par cette pseudo-uridine. Le résultat est spectaculaire : les ARNm ainsi synthétisés perdent pour beaucoup leur effet inflammatoire. Une des plus grandes découvertes du XXIe siècle vient d’être levée. Elle est présentée dans le magazine scientifique Immunity en 2005. Elle sera primordiale en 2020.


Les vaccins anticancers

Remarquablement efficace contre les formes graves du Covid-19, les vaccins à ARNm constituent une rampe de lancement pour combattre de façon opérante d’autres maladies infectieuses, telles que le sida, la grippe ou le paludisme. Néanmoins, c’est dans la lutte contre le cancer, véritable fléau des temps modernes, que les vaccins à ARNm nourrissent le plus d’espoir. Dans ce domaine et à ce jour, l’entreprise allemande BioNTech, créée en 2008, a plusieurs années d’avance sur la concurrence. Ce qui n’a pas empêché les époux oncologues, Uğur Şahin et Özlem Türeci, dirigeants de BioNTech, de réinvestir une partie des gains du vaccin anti-Covid dans la recherche et développement des vaccins anticancers à ARNm. Leur but, pour ne pas dire leur obsession : vaincre tous les cancers.


Uğur Şahin et Özlem Türeci, médecins et chercheurs en oncologie d’origines turques, fondateurs de l’entreprise BioNTech à Mayence, travaillent depuis plusieurs années à la mise au point de vaccins à ARN messager permettant de lutter contre les cancers. © G. Fuentes (AFP)

Le cancer est une maladie liée à des erreurs de copie pendant le renouvellement permanent de nos cellules provoquant une mutation de leur ADN. Ces détériorations génétiques produisent à leur tour des ARN messagers transportant des informations erronées qui aboutissent à la fabrication de protéines antigènes, les néo-antigènes, se concentrant à la surface des cellules à l’ADN altéré. Ces créations de néo-antigène arrivent sans arrêt tout au long de notre vie, mais le système immunitaire parvient à les identifier et les détruire de la même manière que s’ils étaient des virus ou des microbes étrangers. Dans certaines configurations toutefois, les néo-antigènes réussissent à se rendre invisibles pour le système immunitaire, s’accumulent en un même endroit et deviennent une tumeur cancéreuse.


Le but de BioNTech est de produire des vaccins à ARNm pour apprendre au système immunitaire à repérer et rompre ces néo-antigènes. Mais contrairement au vaccin anti-Covid qui ne contient qu’un seul type d’ARNm codant la protéine Spike, les vaccins anticancers doivent renfermer un cocktail d'ARNm codant les néo-antigènes (protéines antigéniques) spécifiques à chaque malade. Pour atteindre un tel résultat, les équipes de BioNTech vont s’appliquer, au début des années 2010, à mettre au point une plateforme bio-informatique, permettant d’établir la carte des mutations génétiques des cancers de chaque patient (la liste de leurs néo-antigènes). Cette carte, appelée mutanome, sera utilisée en entrée de la machine FixVac, joyau technologique de BioNTech, chargé de fabriquer le vaccin à proprement parler, un vaccin personnalisé. Chose importante : les procédés étant flexibles et très automatisés, les coûts de fabrication de ces vaccins seraient abordables pour les mutuelles et les systèmes de santé publics.


Les premiers essais sont réalisés en 2017, sur treize patients à un stade avancé de mélanome (cancer de la peau). Chacun des patients reçoit un vaccin individualisé après analyse de leurs mutations respectives. La réponse immunitaire souhaitée s’est produite dans la majorité des cas. Onze essais cliniques couvrant 17 types de cancers différents sont en cours d’évaluation chez BioNTech.


Grâce au Covid et la manne financière injectée par les États, une révolution médicale est en train de s’installer dans les laboratoires d’immunologie et d’oncologie, un peu partout dans le monde. Ce coup-ci, nous pouvons espérer que nous n’attendrons pas trente ans pour qu’elle porte ses fruits.






Sources :

Fabrice Delaye, La Révolution de l’ARN Messager, vaccins et nouvelles thérapies, éd. Odile Jacob, septembre 2021, 189 pages.


Ne serait-ce qu’en Europe et pour l’année 2021… Près d’un demi-million de vies sauvées grâce à la vaccination contre la Covid-19 – Organisation Mondiale de la Santé (OMS)







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