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Le paradoxe de Moravec : un espoir pour l'avenir du travail – IA #5

L'explosion actuelle de l'intelligence artificielle suscite beaucoup de craintes sur l’évolution du travail des prochaines décennies. Pourtant, l'histoire des technologies montre que les innovations ont souvent créé plus d'emplois qu'elles n'en ont détruit. Et les études menées dès les années 1980 par Hans Moravec, enseignant-chercheur canadien, donnent des raisons d’espérer : pour de nombreuses tâches, les humains sont bien plus performants que les robots !


Usine fabrication de batterie pour voiture électrique
Usine de fabrication de batterie pour voiture électrique

Moravec constate par exemple qu'il est plus ardu pour un robot humanoïde de marcher dans un sous-bois, ce qui demande à tout moment d’ajuster sa marche aux inégalités de terrain, que de réaliser des tâches complexes comme jouer aux échecs ou résoudre des équations différentielles. Le jeune roboticien comprend intuitivement l'importance de l'embodiment ou de la corporalité dans les activités humaines, et sa très difficile implémentation dans les robots.


Le chômage technogique

La préoccupation du chômage technologique remonte au moins à l'Antiquité. Aristote l’évoque déjà dans son ouvrage La Politique (I, 4) : « Si les navettes [instruments de tissage] tissaient d'elles-mêmes et si les plectres [baguettes servant à gratter les cordes de la lyre] pinçaient tout seuls la cithare, alors ni les chefs d'artisans n'auraient besoin d'ouvriers, ni les maîtres d'esclaves ». Au Ier siècle, l’empereur romain Vespasien sauvegarde l’emploi des ouvriers transporteurs en renonçant à un nouveau moyen de circulation des marchandises performant et peu coûteux. Dans la même veine, William Lee voit sa machine à tricoter rejetée par la reine Elizabeth I : celle-ci estimait que cette invention « mènerait assurément à la ruine ses pauvres sujets en les privant d’emploi, les rendant ainsi mendiants. »


La problématique de l'innovation technologique et sur le chômage remonte probablement à l'invention de la roue. Au IVè siècle av. J.-C., Aristote soulève la question dans son ouvrage "La politique"
L'impact de l'innovation technologique sur le chômage remonte probablement à l'invention de la roue. Au IVè siècle av. J.-C., Aristote soulève la question dans son ouvrage "La politique"

Les spécialistes aujourd'hui s’accordent tous sur les pertes d’emplois massives que peuvent entraîner temporairement les innovations. Les divergences se situent plutôt sur l’impact des technologies à long et moyen terme. Pour les optimistes, après un certain temps, des mécanismes de compensation se mettent en place, notamment par la création de nouveaux métiers. « Le passage du cheval à la voiture a mis les cochers au chômage mais a aussi créé toute une industrie automobile », rappelle Gregory Verdugo dans Les nouvelles inégalités du travail. Pourquoi l’emploi se polarise. De la même manière, en 2011 on estimait qu’Internet était à l’origine de 25 % des emplois en France depuis 1995.


Les pessimistes au contraire imputent à l’innovation le chômage structurel, ce chômage durable qui ne diminue pas de manière significative même en période de « plein emploi ». On ne peut en effet que constater l’augmentation du chômage structurel dans les économies avancées depuis les années 1970. Mais celui est-il vraiment dû à l’innovation, ou à la volonté des dirigeants et actionnaires des grandes entreprises d'avantager (de manière beaucoup trop déséquilibrée) le capital au travail ? Le chômage structurel est-il une conséquence de l’automatisation, ou bien le résultat de la mondialisation et des délocalisations sauvages ? Si les robots ont sûrement leur part de responsabilité, le risque est de tomber dans la technophobie et de faire porter le chapeau aux seuls machines et robots ! D’autant plus que ces derniers, malgré les progrès spectaculaires de l’IA, sont bien loin d’égaler les femmes et les hommes dans les tâches de la vie courante.


Le paradoxe de Moravec

La DARPA, l'agence américaine pour les projets de recherche avancée en défense, organise régulièrement des compétitions entre robots. En 2017, des machines humanoïdes devaient ainsi marcher dans un environnement inconnu, ouvrir une porte et monter quelques marches. Aucun robot n'a réussi... Alors que les machines sont très efficaces pour réaliser des tâches qui nous semblent compliquées, elles butent sur des actions qui paraissent triviales. Ce paradoxe dit paradoxe de Moravec a été observé par ce dernier il y a une quarantaine d'années. Il se résume en quelques mots : « Le plus difficile en robotique est souvent ce qui est le plus facile pour l'homme, et inversement ». Mais comment l’expliquer ?


Hans Moravec (canadien et résident américain d'origine autrichienne) formalise son paradoxe dans son livre "Mind Children" publié en 1988.

À cause de l'anthropocentrisme très présent dans les sociétés colonialistes, on a cru pendant une bonne partie du XIXe siècle que l'évolution de l'homme a commencé par le cerveau et que le corps a suivi. Il s'avère que c'est exactement l'inverse qui s'est produit... L'évolution des capacités cognitives du cerveau s'est amorcée avec la bipédie de l'Homo erectus, il y a environ 1 million d'années en Afrique. À partir de là, les interactions de l'homme via les facultés sensorimotrices de son corps avec son environnement physique, technique et culturel ont peu à peu façonné sa cognition. N'en déplaise à Descartes, il semblerait que le corps soit le terreau de la pensée !


Nos capacités sensorimotrices permettent la reconnaissance d'un visage, d'un objet ou d'une mélodie. Elles sont essentielles au mouvement. Elles aident à évaluer les émotions des individus qui nous entourent, leurs intentions ; elles sont indispensables au langage. Même si l'IA a fait d'énormes progrès ces dernières années, tout ce qui touche au sensorimoteur est difficilement reproductible par une machine. Il suffit de montrer 2 ou 3 images d'un chat à un enfant de 2 ans pour qu'il reconnaisse l'animal sur n'importe quelle photo ; il en faut 100 000 à une IA dernier cri !


Pour revenir à des considérations évolutionnistes, Moravec met en avant la chose suivante : « Plusieurs millions d'années d’expérience sur la nature du monde et la façon d’y survivre ont été encodées dans les grandes parties sensorimotrices hautement évoluées du cerveau humain ». En revanche, les capacités de raisonnement n'ont émergé que très récemment dans l'évolution (depuis la bipédie) et ne sont donc pas encore autant optimisées. Cela expliquerait pourquoi les activités cognitives complexes nécessitent la réflexion consciente, contrairement aux tâches dites « faciles » qui elles, peuvent s'exécuter inconsciemment. Et pour reboucler sur les machines, il est aussi plus aisé de décrire en langage de programmation un processus conscient qu'inconscient.


L'homme, l'avenir du travail

Le paradoxe de Moravec est plutôt une bonne nouvelle pour le futur de l'emploi. Ainsi, les professions requérant des savoir-faire manuels auront le vent en poupe ! Comme les cuisiniers et les pâtissiers, mais aussi les métiers de l'artisanat classique (les maçons, les plombiers,...). Les professions demandant intuition et empathie seront aussi recherchées, comme les psychologues, les médecins et tous les métiers du soin en général. Les emplois sollicitant les capacités d'échange, à l'exemple des professeurs. Sans oublier, ceux nécessitant de la créativité comme les artistes, les artisans (on les retrouve encore !), les designers, les architectes, les développeurs informatique, etc...


La coexistence de l'homme avec la machine s'est ancrée avec le développement de la machine à vapeur, qui devient durant le XIXè siècle le moteur des usines et des trains. Les machines n'ont cessé de se perfectionner et de se multiplier depuis, pour aboutir aujourd'hui à l'envahissement des objets connectés. Dans le travail cependant, nous assistons plus à une utilisation à grande échelle de la technologie par l’homme qu’au remplacement de ce dernier par la machine. C'est ce que nous explique Moravec : la machine ne remplace pas l'homme parce qu'elle ne sait pas faire ce que l'homme produit avec ses mains, ses émotions, son intuition, le langage et la pensée. Le grand avantage de l'homme sur la machine : son intelligence chevillée au corps !







Sources :

Chômage technologique


Les nouvelles inégalités du travail. Pourquoi l’emploi se polarise, Gregory Verdugo, Presses de Sciences, 2017


A l’usine, au bureau, tous remplacés par des robots ?


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Le paradoxe de Moravec


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