Un titre antinomique mais qui traduit pourtant une anomalie souvent identifiée, soit dans l'organisation où nous travaillons, soit au sein même de notre famille...
Le sujet qui nous intéresse ici est bien l’organisation où nous travaillons. Je parle du travail car on ne le remet pas assez sur la scène organisationnelle. Or, le rapport au travail des citoyens, dans sa dimension individuelle et collective, n’a jamais été autant mis en lumière.
On voit aujourd’hui bon nombre d’initiatives entrepreneuriales et intrapreneuriales allant dans la direction de la quête de sens. Ces initiatives sont souvent le fruit d’une réflexion sur notre propre rapport au travail et sur ce qu'il produit. C’est pourquoi, on constate par le mouvement de révolte des premiers de la classe la recherche d’une utilité sociale, en consommant responsable par les circuits courts, le bio ou en s'engageant dans d'autres actions... Des initiatives qui rejoignent fortement les 7 piliers de la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) : la gouvernance de l'organisation, les droits de l'homme, les relations et conditions de travail, l'environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, les communautés et le développement local.
Notre société en mutation essaie de remettre de l’humanité, de la fraternité au cœur de notre société. Face à l'individualisme grandissant, à la violence des rapports sociaux, à la surconsommation des ressources et à la perte de la solidarité, une souffrance.
La souffrance au travail peut être la résultante d’un empêchement, d’un essoufflement, d’un évitement du dialogue de ce qui se joue réellement dans la scène du travail, avec aussi une difficulté à identifier ses ressentis. Cet état de fait engendre un silence organisationnel qui se manifeste par la déperdition du lien de confiance envers l’institution, envers sa parole allant parfois jusqu’à une rupture du dialogue. Ce silence peut aussi engendrer un manque de reconnaissance de son propre travail et de celui des autres, situation qui conduit à un sentiment d’isolement. Ce ne sont là, que des conséquences non exhaustives de ce que ce silence délétère peut produire. On comprend ainsi la difficulté d’organiser des arènes de régulation conjointe (rencontre entre la régulation autonome et la régulation de contrôle) nécessaire au travail d’organisation.
Les facteurs de cette production du silence sont multiples. On peut les regrouper en trois thématiques : Les facteurs organisationnels liés à la structure, les facteurs managériaux et les facteurs culturels.
En ce qui concerne les facteurs organisationnels, peuvent être mis en cause : la taille de l’organisation et la gouvernance multi-acteurs qui démultiplient le nombre de strates décisionnelles. Dans ce cas, ce sont souvent les travailleurs eux-mêmes qui vont régler le problème. Ce qui rejoint la déviance organisationnelle, la non-reconnaissance de la violence, les manquements à la règle par l’organisation… Et enfin, des fonctionnements bureaucratiques où l’on constate une lourdeur et une démultiplication des procédures. On parle alors de ventriloquie de la procédure où l’on se cache derrière elle pour parler, tout en ne disant rien.
Pour les facteurs managériaux, on constate : un management hors sol car déconnecté du quotidien. Un manque de solidarité, de cohésion managériale, générateur de contre-ordres, d’injonctions paradoxales. Des arènes de régulation conjointe mal maîtrisées par les managers dont l’ordre du jour concerne essentiellement de l’information descendante, loin du travail réel, d’où le sentiment de réunionnite et du manque d’écoute de la base. Enfin, une gestionnite et une quantophrénie qui s’accompagnent souvent d’un manque de reconnaissance d’un travail invisible car non mesurable – ne sont pas pris en compte les temps de coordination, le temps sur le terrain à régler des problèmes, les imprévus etc… Ce qui est mesurable ce sont les KPI (Key Performance Indicator ou indicateurs clés de performance), qui explosent et que personne ne lit. En effet, certains sociologues ont suggéré récemment que si nos sociétés étaient malades, elles étaient avant tout malades de la gestion qui se cache derrière des mots comme « productivité », « efficacité », « excellence », « modernisation », « leadership »… soit par la prescription d’une norme idéale mais dont les symptômes ne trompent pas : la gestionnite par l’hyper-rationalisation du travail, la standardisation des processus qui impacte l’autonomie et les marges de manœuvre des acteurs ; la quantophrénie, soit la gouvernance par les chiffres où tout ce qui n’est pas mesurable n’existe pas, ce qui laisse une grande partie du travail invisible et provoque le manque de reconnaissance individualisée.
Il est plus difficile d’appréhender les facteurs culturels car touchant à l’identité, mais la plupart sont en lien avec la famille, l’Education et la société. Si un individu n’a pas appris à parler, à s’exprimer, à débattre, à argumenter, ni à ressentir, il lui sera difficile de mettre en mots ses sentiments, ses émotions, ses désirs.
Nous voyons bien qu’à travers cette cacophonie se cache un lourd silence qui peut à terme être coûteux pour l’organisation qui dépend de l’engagement des salariés. Les pistes de réflexion pour y remédier ouvrent un champ des possibles vaste, et c’est là la bonne nouvelle… Je serais heureuse de vous retrouver pour de nouvelles chroniques s’orientant dans ce sens.
Gaëlle Gervier
Dirigeante « Les Ecoutilles » et Enseignante en Master